LE LAC TURKANA AU KENYA, FIGURE DÉSORMAIS PARMI LES SITES DU PATRIMOINE MENACÉS.
À LA FRONTIÈRE ENTRE LE KENYA ET L’ÉTHIOPIE, LA ZONE ENTOURANT LE LAC TURKANA MET EN LUMIÈRE COMMENT LA CRISE CLIMATIQUE, AINSI QUE LES DÉCISIONS DE DÉVELOPPEMENT PRISES PAR LES GOUVERNEMENTS LOCAUX, INTENSIFIENT LES CONFLITS TRADITIONNELS ENTRE LES COMMUNAUTÉS LOCALES
Lac de Turkana [Kenya]
[Contours montrant les zones d’asséchements du lac du Turkana – Kenya]
– Le réchauffement climatique cause l’assèchement du lac Turkana au Kenya –
Il approche midi, et le thermomètre indique 38 degrés. La chaleur est intense, l’air sec, et le soleil, associé à la poussière, rend la respiration difficile. Je me trouve dans le village de Nakinu, à l’extrême nord du Kenya, près de la frontière avec l’Éthiopie. Cette région semi-aride du comté de Turkana est marquée par des frontières et des conflits, isolée et négligée par le reste du monde.
À l’ombre d’un arbre près de sa hutte, une dame de 83 ans, nommée Dapal, semble presque épuisée. Ses yeux sont vitreux, son visage est ridé par le soleil et les épreuves. Sous les nombreux colliers colorés caractéristiques du peuple Turkana, émerge un corps mince et affaibli, résultat à la fois du vieillissement et des difficultés de survie dans des conditions aussi extrêmes.
En m’asseyant pour engager la conversation, ses premiers mots me sont difficiles à comprendre. Cependant, lorsqu’elle ouvre sa robe pour révéler son ventre, le geste universel de la faim devient évident. Comme des millions d’autres en Afrique de l’Est, dans la région entre le nord du Kenya et la Corne de l’Afrique, Dapal souffre de la grave sécheresse qui sévit depuis plus de trois ans.
Selon les données du FNUAP, plus de 36 millions de personnes font face à des problèmes graves liés aux pénuries alimentaires et à l’urgence sanitaire découlant de la sécheresse qui a commencé en octobre 2020. Cette vague actuelle surpasse en durée et en intensité les terribles sécheresses de 2010-2011 et de 2016-2017, et elle devrait continuer à s’aggraver dans les mois à venir, avec des conséquences catastrophiques.
La région de Turkana, entre juillet et décembre 2022, n’a reçu que 17 % des précipitations normales, plaçant neuf autres comtés du Kenya en état d’alarme. La végétation s’est considérablement détériorée, entraînant la mort de dizaines de milliers de têtes de bétail et une chute abrupte du pouvoir d’achat des ménages. Les dernières études de l’Autorité nationale de gestion de la sécheresse, publiées en janvier 2023, indiquent que 62 % des familles à Turkana font face à une grave pénurie alimentaire, et plus de 20 000 enfants de moins de 5 ans sont gravement sous-alimentés, nécessitant des soins urgents.
L’accès à l’eau est un défi majeur dans cette région, où les rivières sont asséchées et les puits absents. Les habitants dépendent du lac Turkana, malgré sa qualité d’eau inadaptée à la consommation humaine. Un vaste aquifère découvert en 2013 pourrait répondre aux besoins de la région, mais le gouvernement kényan a négligé le projet en le jugeant économiquement non viable, laissant la population sans ressources.
Le manque d’investissements, d’infrastructures et d’aide gouvernementale épuise les ressources humaines et animales, provoquant des tensions et des conflits tribaux. Les bergers Turkana, dépendants de leurs troupeaux, envahissent les frontières voisines à la recherche de pâturages, intensifiant les conflits armés avec les tribus voisines.
Cette situation critique, exacerbée par le changement climatique, nécessite une intervention gouvernementale immédiate et des efforts sérieux pour atténuer les effets à long terme. En l’absence d’une action coordonnée, des millions de personnes en Afrique, déjà les plus vulnérables, continueront de subir les conséquences dévastatrices de cette crise humanitaire.