Les projets en Antarctique s’effondrent !
Les programmes de recherches scientifiques en Antarctique traversent une période difficile, l’annulation de la saison des recherches causée par la fonte des glaces met en péril les ensembles du projets de collecte de données. “Découragement global chez les chercheurs”
Il y avait de grandes attentes pour une année fructueuse sur la glace de l’Antarctique. Après avoir obtenu une subvention de 1,1 million de dollars sur cinq ans de la National Science Foundation (NSF) en 2019 pour étudier la reproduction des phoques de Weddell dans le détroit de McMurdo, l’équipe de chercheurs avait prévu une période complète de quatre mois sur le terrain, prévue pour octobre après une première saison de terrain. Tout était prêt à être expédié en juin, avec environ 200 000 dollars d’équipement et de fournitures emballés et prêts à partir.
Cependant, en juillet, une scientifique assistante à l’Institut océanographique de Woods Hole a été surprise d’apprendre que cette saison était également annulée avant même de commencer. La station McMurdo de la NSF manquait de lits pour accueillir son équipe de cinq personnes, nécessaire pour manipuler en toute sécurité des animaux pouvant peser jusqu’à 500 kilogrammes.
Ce n’était pas la seule scientifique antarctique financée par la NSF à voir ses projets annulés pour cette saison. La NSF a décidé d’annuler ou de réduire de plus de la moitié les 131 projets et activités financés pour l’été austral 2023-24, en raison d’un manque de soutien logistique. En parallèle, l’augmentation des coûts de ce soutien logistique a contraint la National Science Foundation (NSF), qui administre le programme de recherche pour le gouvernement américain, à restreindre la portée et la durée des projets déjà approuvés par ses gestionnaires de programme. Cette situation dysfonctionnelle représente un risque significatif pour les efforts de recherche de centaines de scientifiques travaillant en Antarctique.
Une autre biologiste marine diplômée d’une université au Texas, qui avait réussi à obtenir une subvention pour son projet en Antarctique, souligne qu’à une époque, l’obtention d’une subvention de la NSF pour travailler en Antarctique était la principale difficulté. Cette subvention lui assurait la possibilité de mener des recherches de grande qualité. Cependant, actuellement, quelque chose a changé, et tant que les raisons de cette détérioration ne seront pas identifiées et résolues, il est judicieux de conseiller la prudence avant d’encourager quiconque à orienter sa carrière vers la recherche en Antarctique.
La baisse d’activité coïncide avec des changements dramatiques dans l’écosystème antarctique et l’océan Austral dus au changement climatique. Alors que d’autres pays renforcent leur présence en Antarctique pour mieux comprendre ces changements, les États-Unis semblent prendre le chemin inverse, comme le dit l’un des principal investigateur d’un projet de surveillance des écosystèmes de la péninsule Antarctique occidentale depuis 33 ans. Il compare notamment la situation à être le « canari dans la mine de charbon », soulignant le besoin urgent de compréhension, alors que les États-Unis semblent se retirer malgré leur plus grande empreinte scientifique en Antarctique.
Cette jeune scientifique a visité l’Antarctique à 10 reprises depuis sa première expérience en tant qu’étudiant diplômé en 2011, ce qui lui confère une connaissance approfondie du fonctionnement des opérations. Une fois qu’une proposition de recherche est approuvée par la NSF, une entreprise privée est chargée de fournir la logistique nécessaire. Actuellement, c’est Leidos qui assure ce rôle, ayant reçu près de 2,7 milliards de dollars depuis 2016 dans le cadre d’un contrat de soutien logistique valable jusqu’en mars 2025.
Par exemple, l’équipe requiert un hélicoptère ou des motoneiges pour se rendre quotidiennement de McMurdo à la mer de Ross gelée, au pied du mont Erebus, un volcan actif. Une fois sur la glace, l’équipe effectue la capture, l’examen et la collecte d’échantillons de tissus et de sang de phoques adultes et de leurs petits. Des hélicoptères sont également nécessaires pour localiser les phoques équipés de balises radar qui s’éloignent de la colonie principale. L’objectif est de maintenir ces activités d’octobre à mi-janvier, au pic de l’été austral, pendant 3 années consécutives.
Cependant, l’équipe et de nombreux autres chercheurs ne peuvent plus compter sur un tel niveau de soutien, voire même sur un logement assuré. Parmi les améliorations prévues dans le cadre du projet de rénovation de McMurdo figure la construction d’un nouveau dortoir de 285 lits, situé sur le site d’un ancien bâtiment de 150 lits démoli en 2019 pour réduire son impact environnemental.
La NSF a malheureusement choisi le pire moment pour la démolition, car la pandémie a ensuite interrompu presque toutes les activités de l’USAP, y compris la construction du nouveau dortoir. Ce nouveau logement ne sera prêt qu’en 2025-2026, soit trois ans plus tard que prévu initialement. La pénurie de lits qui en résulte a un impact sur tous les aspects de la logistique antarctique, limitant non seulement le nombre de chercheurs, mais aussi le soutien logistique nécessaire. De plus, la hausse des coûts a entravé la capacité de la NSF à transporter des personnes et des marchandises vers et depuis l’Antarctique. Les coûts ont également réduit le soutien en hélicoptère pour les scientifiques travaillant sur la banquise ou dans des endroits reculés, avec des vols cessant trois mois plus tôt que d’habitude.
Le budget inchangé pour l’OPP à cependant limité la capacité de la NSF à fournir un soutien accru. Malgré la déception des chercheurs affectés par les récentes coupes budgétaires, cela à pour conséquences de bouleverser l’engagement continu de la NSF envers la recherche de qualité.
Les coupes budgétaires auront un impact sur la recherche, en particulier sur les projets nécessitant des données continues ou des observations précises. Par exemple, les projets LTER en Antarctique verront leurs équipes réduites et leurs saisons sur le terrain raccourcies, affectant la collecte de données cruciales pour surveiller l’écosystème.
De même, le projet LTER des Dry Valleys de McMurdo verra une réduction significative du nombre de lits disponibles pour les scientifiques cet automne, avec une saison sur le terrain raccourcie. Cela entraînera une collecte de données réduite et des limitations dans certains aspects de la recherche.
Par ailleurs, il y a une équipe qui mesure l’oxydation et d’autres changements biochimiques dans les tapis microbiens causés par la lumière et la photosynthèse. Au cours de la saison sur le terrain de l’été austral 2022-2023, ces chercheurs ont découvert une quantité surprenante de variabilité dans les concentrations d’oxygène qui ne pouvait pas être expliquée. Avant le départ de son équipe en février, des plongeurs ont installé des ombrières destinée à fournir de l’ombre sur certains des tapis du fond du lac. Le plan était de revenir en octobre pour les enlever et observer les changements métaboliques résultants au cours des mois suivants alors que l’hiver antarctique laisse place au printemps.
Le timing est crucial, perdre une saison sur le terrain, signifie qu’il faut pratiquement tout recommencer à zéro. Il est impossible de laisser les ombrières en place pendant 2 ans et d’obtenir les données recherchées. Au lieu de cela, l’équipe disposera de 6 jours pour simplement récupérer les instruments installés l’année dernière.
Une biologiste de Texas Tech a été confrontée à un défi différent : une demande de dernière minute de la part de la NSF pour prolonger la durée pendant laquelle elle suivrait l’impact du réchauffement climatique sur les organismes vivant sur la péninsule Antarctique occidentale.
La saison dernière, son équipe a installé des chambres ouvertes sur la végétation pour capturer plus de rayonnement solaire. Son objectif était de simuler le réchauffement climatique futur et de voir comment cela affectait le flux de carbone. La saison sur le terrain s’étendait de fin novembre à mi-mars, des dates dictées par la fonte de la neige et son retour. Pour maintenir sa charge d’enseignement universitaire normale, elle a doublé les cours au semestre d’automne afin de pouvoir être absente au printemps.
Cette année, la NSF lui a demandé de se rendre en Antarctique 6 semaines plus tôt et de rester jusqu’en avril pour éviter la forte demande pour le navire qui l’emmène de et vers la station Palmer (quartier de base de ses opérations) Elle a dû décliner l’offre et a dû renoncer à sa mission. Sinon, elle serait partie ce milieu de semestre sans avoir quoi que ce soit à faire la-bas !
La NSF a demandé aux entrepreneurs de mettre en place les chambres de réchauffement à la fin de la saison pour qu’elles soient en place l’année suivante, ce qui est fortement apprécié. Cependant, l’équipe ne pourra pas encore collecter de données car cela nécessite une formation spéciale. De plus, si quelque chose ne fonctionne pas, ils pourraient devoir recommencer l’expérience, en supposant que l’équipe puisse être déployée pour la saison 2024-2025.
Les perturbations soutenues ces dernières années ont remis en question l’avenir de l’USAP en tant qu’option de carrière attrayante pour de nombreux scientifiques antarctiques. Certains estiment que le programme a perdu de sa résilience, avec de nombreux employés expérimentés ne revenant pas sur la glace après la pandémie, exposant ainsi des préoccupations concernant la sécurité et la viabilité de l’équipement vieillissant.
Trente scientifiques spécialisés dans la banquise ont exprimé leurs préoccupations dans une lettre à la NSF en février après une saison sur le terrain difficile. Ils ont souligné les défis liés au soutien logistique et à la sécurité, affirmant que l’approche habituelle de l’USAP n’est plus adaptée pour garantir la sécurité et la productivité de la recherche en science de la banquise.
Une écologiste animalière à l’Université d’État du Montana, a basé sa carrière sur la capacité de la NSF à fournir un soutien logistique adéquat. Bien que son équipe ait pu travailler pendant la pandémie en raison de l’importance des données à long terme, ils ressentiront les effets de la réduction du soutien logistique cette année. Leur mobilité sera limitée, affectant la quantité de travail scientifique réalisé. Cela complique également l’étude de l’influx de phoques depuis une colonie plus au nord, qui pourrait offrir des informations cruciales sur l’impact du changement climatique sur cette espèce emblématique.
De nombreux scientifiques antarctiques estiment que la NSF et Leidos auraient dû mieux anticiper l’impact de la COVID-19, de la construction et de l’augmentation des coûts sur le programme antarctique. Ils soulignent que les décisions d’annulation des saisons sur le terrain ont été prises tardivement, malgré la connaissance préalable des ressources disponibles et des projets programmés depuis des années.
Un facteur majeur des notifications de dernière minute est l’échec récurrent du Congrès à approuver les budgets annuels des agences fédérales, ce qui entrave le processus de planification détaillé de la NSF.
La responsable du bureau logistique antarctique de la NSF met en garde contre la recherche d’une explication simple à l’annulation des saisons, soulignant que la pandémie, le budget et les contraintes d’espace sont tous des facteurs en jeu.
Ces explications ne rassurent guère les scientifiques, car les retards récurrents affectent sérieusement leurs projets de recherche et compromettent leurs plans de carrière.
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